Par Jean-Baptiste Kabeya |
Mbujimayi, 15 juillet 2025
Dans une lettre ouverte adressée à Son Éminence le Cardinal Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa, Monsieur Roger Kabeya Tshimbundu N’kulu, personnalité historique et cadre de l’Alliance nationale des autorités traditionnelles du Congo (ANATC/ASBL) au Kasaï-Oriental, a pris la plume pour exprimer son profond désaccord avec la dernière sortie médiatique du prélat catholique sur l’Accord de paix récemment signé entre la RDC et le Rwanda. Le ton est grave, la plume incisive, et le message ne laisse aucune place à l’ambiguïté : trop, c’est trop.
Entre diplomatie fragile et dénonciation trop rapide
Le cardinal Ambongo avait exprimé une vive opposition à l’Accord de paix entre Kinshasa et Kigali, le qualifiant de « fausse solution » face à la crise sécuritaire de l’Est. Pour Roger Kabeya, cette déclaration ne serait ni opportune ni constructive. L’auteur de la lettre fustige ce qu’il perçoit comme une « dénonciation à la congolaise » , une critique sans proposition concrète. Il exhorte le cardinal à produire, s’il le peut, une alternative « viable, opérationnelle et diplomatiquement soutenable ».
« Ce n’est pas dans le refus systématique dudit Accord que l’on peut prétendre défendre les intérêts des Congolais », martèle-t-il, dénonçant une posture qui risquerait de conforter l’agresseur en affaiblissant les efforts diplomatiques en cours.
Dérives morales ou ingérences non assumées ?
La lettre va plus loin, frôlant le territoire sensible de la controverse. Roger Kabeya demande au cardinal Ambongo de clarifier ses propres liens avec le président Rwandais Paul Kagame. Dans un passage volontairement provocateur, il invite l’archevêque à publier « l’accord qui vous lie à Kagame » , allusion à peine voilée à des connivences supposées ou à une diplomatie ecclésiale parallèle.
« Vous ne dirigez pas une religion d’État, la RDC est laïque, » insiste-t-il, semblant reprocher au cardinal de sortir de son rôle pastoral pour se positionner en acteur politique, voire diplomatique.
Une leçon de realpolitik ?
Kabeya ne nie pas que l’accord puisse comporter des imperfections. Mais selon lui, la paix, en République Démocratique du Congo comme ailleurs, naît toujours dans la complexité des compromis, et non dans des postures morales qui ignoreraient les réalités du terrain. Il voit dans l’accord un « grand pas nécessaire », une « plateforme diplomatique », fruit d’un dialogue sous médiation internationale, qui mérite suivi et engagement, non rejet brutal.
Le message est clair : il ne faut pas condamner un accord parce qu’il n’est pas parfait, mais veiller à sa mise en œuvre, surveiller les engagements, et surtout, ne pas désarmer diplomatiquement ceux qui tentent de le faire vivre.
Un plaidoyer pour une vigilance active
L’auteur appelle à une vigilance active, non à une dénonciation démagogique. Il demande au cardinal de s’élever au-dessus des postures partisanes, au profit d’une implication collective dans la sécurisation de l’Est, la paix régionale, et le retour des réfugiés, y compris les FDLR, dont il regrette que ni l’Église catholique congolaise ni celle du Rwanda ne réclament le dialogue avec Kigali.
Un message copié au sommet
Fait rare, la lettre a été envoyée non seulement au président congolais Félix Tshisekedi, mais aussi au président des États-Unis et au Pape François. Ce geste diplomatique inhabituel confère à la missive une portée internationale. L’homme traditionnel, par cet acte, s’élève en gardien d’une souveraineté bousculée et d’une paix fragile à défendre avec lucidité, non avec émotion.
Un signal fort dans le débat public
Alors que la société civile, les confessions religieuses et les instances politiques congolaises peinent à s’accorder sur la marche à suivre pour résoudre durablement la crise à l’Est, la lettre de Roger Kabeya introduit un discours de vérité, sans compromis ni fioritures. Elle remet au centre du débat l’exigence de responsabilité, tant dans les paroles que dans les actes, y compris pour les autorités morales les plus élevées.
« Espérant que vos prochaines déclarations rencontreront les préoccupations spirituelles et existentielles, » conclut-il, non sans ironie feutrée.
Analyse : entre vérité patriotique et audace politique
Ce courrier ouvert se veut un miroir tendu à une Église catholique de plus en plus audible dans le débat politique. Mais il est aussi un cri du cœur, celui d’un homme enraciné dans les réalités d’un pays où la paix n’est jamais un acquis, mais toujours un combat. Face à une Éminence, c’est le peuple, par la voix d’un de ses fils, qui parle. Et il ne murmure pas.
Jean-Baptiste KABEYA Kayemba/ Wa Yakondolo TV