Par Thomas Luhaka Losendjola.
Les allemands attaquent le Congo
1. L’histoire de Léon Kengo wa Dondo commence avec la première guerre mondiale. De 1885 à 1908, notre pays le Congo, qui s’appelle alors l’Etat Indépendant du Congo (EIC) est une propriété privée du roi des Belges Léopold II. Mais depuis le 18 octobre 1908, le Congo est devenu une colonie belge sous la dénomination de Congo-Belge.
Tandis que ses voisins de l’Est (le Rwanda, le Burundi et le Tanganyika; l’actuelle Tanzanie) sont des colonies allemandes connues comme la » Deutsch OostAfrika (DOA) » qui veut dire » l’Afrique Orientale Allemande « .
Deux ans après le déclenchement de la première guerre mondiale, on est en 1916, le général allemand Paul Von Lettow-Vorbeck, commandant des forces coloniales de la DOA, décide d’attaquer le Congo-Belge, par la frontière rwandaise, pour récupérer les mines d’or de Kilo-Moto en Ituri.
La force Publique (FP), l’armée coloniale congolaise, va réagir énergiquement contre cette agression en repoussant l’ennemi en dehors de nos frontières.
Les militaires congolais libèrent le Rwanda et le Burundi
2.Le commandant en chef de cette Force Publique, le lieutenant-général Charles Tombeur, décide de poursuivre les allemands dans leurs colonies avec un contingent de 15. 000 soldats congolais.
C’est ainsi que Kigali tombe aux mains des militaires congolais le 9 mai 1916. Le 6 juin 1916, Bujumbura, la capitale du Burundi, est libérée à son tour. Au mois de juillet 1916, le Rwanda et le Burundi sont complètement contrôlés par les militaires congolais de la FP.
Les opérations vont se poursuivre en Tanzanie. Où les militaires congolais vont battre les allemands dans trois grandes batailles: Mahenge, Tabora et Dodoma. (Voir notre page d’histoire du 11 août 2020.)
Pour remercier la Belgique pour sa contribution à la victoire contre l’ Allemagne, grâce aux militaires congolais de la FP, la Société des Nations (l’ancêtre des Nations-Unies) lui confie en 1923 la gestion du Rwanda-Urundi, territoires confisqués à l’Allemagne qui a perdu la guerre.
En 1925, ces deux territoires sont rattachés au Congo dont ils deviennent pratiquement la 7e province.
Des militaires congolais ramènent des épouses rwandaises et burundaises
3. A la fin de la guerre en 1918, beaucoup des militaires congolais (parmi le contingent de 15.000 hommes) reviennent au Congo avec des épouses rwandaises et burundaises. C’est ainsi que, par exemple, le sergent Édouard Kengo Lomboli, de la tribu ngbandi, originaire du territoire de Mobayi-Mbongo, secteur de Kota-koli, du groupement Dondo, va épouser et ramener au pays, une belle rwandaise qui répond au nom de Hilda Asimini.
De cette union vont naître deux filles. Marie-Claire Mukanda Kes et sa sœur Lucie.
Naissance de Léon Lubicz (qui deviendra Léon Kengo en 1972)
4. Marie-Claire Mukanda Kes, l’aînée du couple Édouard Kengo et Hilda Asimini, deviendra employée à l’hôpital général de Libenge, dans l’actuelle province du Sud-Ubangi.
A la suite d’une relation amoureuse qu’elle a eu avec le médecin belge de cet hôpital, le docteur Michel Lubicz (prononcer Lobitch), elle va donner naissance le 22 mai 1935 à un garçon qu’elle prénomme Léon Lubicz.
Le père du petit garçon est contraint de quitter le Congo cinq jours après la naissance de Léon à la suite d’une affaire pénale rocambolesque.
Ce médecin juif belge d’origine polonaise, travaillait au Congo comme médecin itinérant en charge de la lutte contre la maladie du sommeil qui sévissait à l’époque dans la province de l’Équateur.
Le Dr Michel Lubicz est condamné et renvoyé en Belgique
5. Un jour, lors de son itinérance, l’un de ses collaborateurs congolais, va faire tomber son précieux instrument de travail, son microscope. Le Dr Lubicz, sous l’emprise de la colère, va frapper ce congolais à la tête avec une canne et le blesse. Le médecin belge va soigner lui-même le blessé qui, une fois guéri, sera renvoyé dans son village pour faute lourde.
Six mois plus tard, on apprend que le garçon renvoyé est décédé à la suite probablement de la blessure. Le parquet de Lisala ouvre une enquête contre le Dr Lubicz pour » coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner « . Il sera condamné à une lourde peine de prison et révoqué du service médical du Congo.
Il est envoyé en Belgique pour purger sa peine. Le Roi des belges va le gracier et le Dr Lubicz revient au Congo et s’installe à Watsa dans la province du Haut-Uele où il travaillera désormais pour le compte de la compagnie des mines d’or de Kilo-Moto. Le petit Léon Lubicz ne le verra pas et n’aura pas de ses nouvelles durant son enfance.
Le jeune Léon est élevé par ses grands-parents
6. Léon Lubicz va être élevé par ses grands-parents puisque sa mère, Marie-Claire, va épouser un militaire topoke de la FP, originaire de la Tshopo, le caporal Louis Walala. Son grand-père, l’ancien combattant Édouard Kengo, après son service militaire, deviendra menuisier à Libenge et sa grand-mère, Hilda Asimini vont l’encadrer dès sa plus tendre enfance.
En 1940, le jeune Lubicz est inscrit à l’école primaire. Comme l’atelier de son grand-père était séparé de son école par un mur mitoyen, il venait pendant les pauses manger les bananes grillées qu’il trempait dans un bol d’huile de palme que lui préparait celui qu’il considère comme son vrai père tout en bavardant avec lui en kingbandi et en lingala.
Les débuts difficiles d’une carrière époustouflante
7. Comment ce petit mulâtre, abandonné par son père et élevé par ses grands-parents, comment ce garçon qui finira son école primaire à 17 ans, et qui, à cause de son intelligence et à sa grande détermination, va poursuivre ses études secondaires dans des conditions sociales difficiles à Mbandaka, encadré par grand-mère ? Comment, au Groupe scolaire de Mbandaka, tenu par la congrégation des Frères des écoles chrétiennes, va-t-il faire la connaissance d’un jeune élève turbulent du nom de Joseph Désiré Mobutu ? Comment, une fois arrivé en Belgique pour ses études universitaires, va-t-il se lancer à la recherche de son père, le Dr Michel Lubicz ? Et surtout, comment Léon Lubicz va-t-il devenir le tout-puissant Léon Kengo wa Dondo ? Successivement, procureur général de la République, ambassadeur, trois fois Premier ministre et président du Sénat ?
Nous tenterons de répondre à toutes ces questions dans les prochaines pages.
A suivre !
Par Thomas Luhaka Losendjola.
Ancien Président de l’assemblée nationale
Ancien Vice-Premier Ministre
Avocat au barreau de Kinshasa/Gombe
Chercheur Indépendant
Pour plus d’informations, lire les mémoires intitulées » Léon Kengo wa Dondo, la passion de l’État « .